PIXELLISATION

DERRIERE LA FIGURE

Derrière les figures de Philippe Nicolas se tient l’échafaudage perceptible de leur composition, un simple regard à l’œuvre permet d’en connaître le processus  instructif sur ses intentions,

le Mode d’Emploi, car leur élaboration conserve les différents dermes de leur métamorphose : résine épaisse et transparente, pigments colorés acryliques, encres d’impression,  papier,  colle, toile.

Tout cela est visible, il suffit de regarder et de remonter à la source.

L’entreprise commence par un emprunt, une citation d’un personnage qu’il puise sur Internet dans une sorte de panfigurarium (sa banque de données de figures archétypales). Une fois son sujet choisi , il lui emprunte sa silhouette, son contour, qu’il transfère dans le monde numérique et qu’il traite couche après couche, parfois en superposant plusieurs versions d’un même tableau, puis calque après calque, il ajoute des motifs qu’il transforme en signaux périphériques, un pli de draperie devient un chiffre, un élément isolé s’énigmatise tout en laissant subsister les reliquats de ce travail numérique.

Il construit, ici, une nouvelle organisation de l’espace, à plat, frontale, avec un évident déni de perspective.

Il obtient ainsi une image numérique dont d’aucuns se contenteraient, mais c’est alors que débute véritablement la deuxième vie de la figure, en la re-transfèrant par impression qu’il encolle sur toile.

Un travail de trames peintes poursuit le travail des calques, mais par les moyens classiques du pigment et par ajout final, sur certaines parties, d’une résine transparente endiguée dans un cloisonnement qui fait réapparaitre,  de manière fantomatique, la figure classique « empruntée » (Classique, pour la série qu’il présente, car il  a concentré son choix sur  un corpus de représentations issu de toiles de  musées.).

Et là, on touche, je crois au caractère intriguant  et oxymorique de la démarche du peintre, qui réunit dans une seule figure des procédures créatives contradictoires, car, si Philipe Nicolas commence son travail dans un monde de pixels, d’images dématérialisées, inaltérables

(c’est-à-dire, livrées à un calcul reproductible à l’infini qu’il arrache au temps de la dégradation ) c’est pour les ramener dans le monde matériel des objets visuels, uniques, qui seront soumis à la lente mais certaine altération.

Et c’est là que se tient l’intriguant et son intrigue.

Tout d’abord sa création une fois aboutie et vitrifiée, révèle l’impossibilité de sa reproduction, comme l’affirmation de son expérience visuelle unique, et vient démentir son origine reproductible. Voilà un tableau qui ne s’offre qu’à celui qui le regarde, in vivo ; devant la figure. Il n’y a pas d’autre alternative et en cela il renoue avec les arts vivants où la rencontre ne se joue qu’une seule fois, à chaque fois  dans les circonstances historiques de son observation.

Ainsi, on se trouve au cœur du travail du peintre, qui vient révéler à l’œil que toute image complote et intrigue contre lui,  au-delà du détournement de la figure, il y a autre chose, de l’ordre de la déconstruction, de la défiguration, quelque chose qui poursuit le genre de la Vanité. Ce n’est plus la tête de mort, fusse-telle anamorphosée en sexe érigé désignant les intrus, comme dans « les Ambassadeurs de Holbein », mais les figures du passé en Revenants démasqués, en miroirs découpés, qui se tiennent là devant nous, avec pathétique et cocasserie, car l’on peut fragmentairement s’y voir en Narcisse puzzlé…

On se trouve-là devant un dispositif qui attente à notre crédulité, et qui démystifie les stéréotypes et les archétypes, en les désacralisant.

Philippe Nicolas double l’hommage aux peintres à qui il emprunte leurs Gloires, d’une irrévérence enfantine et joyeuse…

Grâce au doute qu’il fait naître sur ces  valeurs faciales empruntées  à la Peinture d’Autorités, Philippe Nicolas, facétieux, ironique en metteur en scène drolatique , nous encourage à scruter de manière libertaire l’énigme  de notre représentation. On se découvre alors nous-mêmes en filigrane dans la fausse monnaie des grandes figures illustrées.

On peut alors,  librement s’abandonner à un voyage de correspondances et d’interprétations,  partir de la vision anecdotique d’un regard singulier pour en faire notre affaire personnelle :

un film inédit et original à notre usage, car l’art n’est jamais anachronique, il renouvèle l’imagerie cinémascopique de l’Eternelle vanité, et nous sommes tous au générique.

Gérald STEHR